Devant Trélévern, dans les Côtes-d’Armor, le Drassm fouille l’épave d’un navire marchand du XVIe siècle ou du tout début du XVIIe siècle, témoin d’une forte activité commerciale et des évolutions de l’architecture navale.
«Nous refermons le site pour le protéger des courants sous-marins et des pillages », explique Olivia Hulot, archéologue au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), qui remonte d’une plongée à 20 mètres de profondeur sur une épave située à quelques encablures de la plage de Trélévern. En cette fin septembre, les archéologues, épaulés par les plongeurs gardes-côtes des douanes, remettent du sable sur les bois de l’épave déjà recouverts de géotextile. Ce travail sera achevé avec trois autres palanquées, juste avant l’arrivée des premières dépressions.
C’est la deuxième année que les équipes du Drassm, menées par Olivia Hulot, explorent ce site découvert en 1994 par un plongeur amateur, Michel Cloâtre. Il se présente sous la forme d’un tumulus de pierres de silex et de granit, avec plusieurs concrétions ferreuses – un amas de coquillages et de sédiments autour de vestiges métalliques, sans doute des canons à frettes ou des bombardes.
De vieilles pièces d’artillerie réutilisées ?
« Ce sont des canons de type ancien, caractérisés par leur assemblage de barres de fer forgé liées entre elles par des cerclages de fer », précise Élisabeth Veyrat, archéologue navale de l’Adramar (Association pour le développement et la recherche en archéologie maritime), qui codirige cette mission. Elle tient dans sa main un boulet en granit trouvé près de l’épave par Olivia. « La présence de ces gros boulets de pierre semble confirmer l’époque plutôt ancienne de l’artillerie, ce qui a nous a d’abord conduit à dater cette épave du XVe ou du XVIe siècle, car, dès le XVIIe siècle, les canons étaient en fonte de fer et tiraient des boulets en fer. » Mais l’avancée de la fouille, et notamment la découverte d’une assiette en céramique, tendent désormais à faire remonter le naufrage au XVIe siècle, voire au tout début du XVIIe siècle. « Il pourrait donc s’agir de vieilles pièces d’artillerie réutilisées à bord d’un navire marchand. »
Trélévern 1 est jugée primordiale pour le Drassm : « Les épaves du début de l’époque moderne sur notre façade atlantique se comptent sur les doigts d’une main, ajoute Élisabeth Veyrat. Elles auraient pourtant beaucoup de choses à raconter car elles témoignent d’un moment charnière dans la construction navale. »
Et les premières observations de la charpente le confirment. Élisabeth Veyrat désigne un fragment de virure remonté sur le navire de recherche André Malraux pour être étudié, dessiné et échantillonné. Le bois est attaqué par les tarets et s’effrite un peu, mais on distingue les marques des gournables qui fixaient la pièce aux membrures.
Le navire, d’une longueur estimée de 20 à 25 mètres, est à franc-bord, un mode de construction qui a peu à peu remplacé le montage des virures à clin pour les grands bâtiments au cours du XVIe siècle sur le Ponant français. Mais ce qui intrigue surtout les archéologues, ce sont les modes d’assemblage, la qualité parfois médiocre des bois et les essences utilisées. « Le bordé est composé de chêne, d’orme et de hêtre, mais aussi de saule, essence que nous n’avions encore jamais vue, explique Élisabeth. L’étude dendrochronologique nous en dira plus sur ces choix : étaient-ils délibérés ou liés à un manque d’approvisionnement ? »
Elle retire délicatement le tissu humide qui protège l’un des couples proches du maître-bau. « Il est en chêne, précise-t-elle, comme tous les autres, mais il est constitué de plusieurs longueurs, dont certaines ont encore leur écorce… ce qui d’après tous les traités de construction navale de l’époque moderne est totalement contre-indiqué ! » De même, la quille en hêtre est de faible échantillonnage : 35 centimètres de large et à peine 15,5 centimètres d’épaisseur, pour une longueur totale estimée entre 15 et 18 mètres.
Élisabeth s’approche d’un brancard de fortune sur lequel est posé un morceau de la quille enveloppé de géotextile et de bandes Velpeau. « Outre ses faibles dimensions, son assemblage nous a surpris. Voyez ces deux pièces clouées le long : ce sont les galbords, en orme, qui ont été mis en place avant les varangues, car celles-ci sont fixées aux galbords et non à la quille. Seul leur démontage nous a permis de vérifier ce trait de construction, qui nous a surpris, car la coque étant à franc-bord nous nous attendions à trouver des indices de construction en membrure première. Ici, nous serions donc possiblement en présence d’une méthode originale, hybride, associant une construction bordé premier pour la mise en place des deux galbords avant la pose des varangues, puis un montage de la coque peut-être en membrure première. »
« Il s’agit certainement d’un navire de commerce, étant donné la faiblesse de l’artillerie », commente Olivia Hulot. Il date d’une période de fort développement du cabotage dans le nord-ouest européen. « La Bretagne, à l’interface des réseaux marchands du sud, de l’ouest et du nord de l’Europe, a joué un rôle de plaque tournante dans ce commerce. » Mais, pour l’instant, impossible de connaître l’origine du navire et son fret. Les ossements d’animaux retrouvés correspondent plutôt à l’alimentation du bord, et les pierres, en majorité du silex, sans valeur commerciale à l’époque, étaient utilisées comme lest.
Pour savoir où le navire a été construit, il faudra attendre l’étude dendrochronologique de Catherine Lavier, du Centre de recherche et de restauration des musées de France, qui pourra donner des indications sur le lieu et l’année d’abattage des bois. « Si nous arrivons à avoir des dates précises, nous pourrons aller chercher dans les archives la trace d’écrits sur le naufrage d’un navire marchand au large de Trélévern. » En attendant, les archéologues reviendront l’an prochain pour explorer un autre secteur du navire… Maud Lénée-Corrèze