Par Daniel Gilles – Le plaisir de la voile pure à bord de jolis yachts de régate comble de bonheur les amateurs de manœuvres et de réglages fins. Et lorsque ce bateau est un des plus anciens 8 mètres JI construits en France et qu’il vient d’être magnifiquement restauré dans le cadre du concours Bateaux des côtes de France, ce sentiment est encore renforcé par la fierté de naviguer sur un bateau « historique ». Construit chez Grossi, à Marseille en 1912, sur plans Sébille, Esterel appartient incontestablement à la mémoire collective locale et quand il tire des bords dans la rade, il est encore des Marseillais pour reconnaître ce vieil et bel ami. Puisse cette restauration réussie d’un vieux yacht de course français en inspirer d’autres, car il reste beaucoup à faire pour reconstituer le patrimoine historique de la plaisance de nos côtes.
Au plein milieu du mois de mars, tandis que la France se réveille à peine de l’hiver, que le Nord est encore embrumé, qu’il neige dans les Alpes et que souffle le suroît en Bretagne, il fait déjà beau au large de Marseille. Le soleil chauffe, la mer est plate et Notre Dame de la Garde qui surplombe la rade fait régner une très légère brise. Trop faible pour un bateau de travail resté stoppé entre mer et ciel; parfaite pour un pur bateau de régate que le moindre souffle anime. Dès que le vent naît, Esterel entame son lent mouvement de balancier souple et salue la petite houle qui se lève. Le bruissement de sa coque en contact avec l’eau commence sa mélodie. Sa moustache s’épaissit à l’étrave, juste sous le petit bout-dehors de bois blond. Tout se met en mouvement à bord et la voilure fait sentir un léger tremblement quand le barreur monte un peu sur le cap pour tâter le vent. Après quelques heures de calme blanc à observer l’eau rigoureusement plate, l’impression donnée par un bateau qui se met à vivre est toujours aussi surprenante.
Le vent s’est maintenant établi autour de 8-10 nœuds. Esterel a envoyé toute sa toile et pénètre dans le port de l’île du Frioul. Nous sommes quatre à bord, sagement assis au fond du bateau, nos têtes émergent du pont flush-deck que sur plombe la belle voilure à corne. A la fin d’un bord majestueux qui nous amène au fond du port, l’eau au liston, nous longeons un ponton où sont accostés des bateaux de plaisance en polyester. A bord de l’un d’eux, bras croisés sur la poitrine, tête légèrement penchée sur l’épaule, un homme observe attentivement notre arrivée. Nous sommes maintenant à sa hauteur et il ne peut s’empêcher de nous crier avec l’accent marseillais qui sonne si familièrement : « Mon Dieu que c’est beau. Vous nous rajeunissez. S’il vous plaît, faites donc un autre tour ! »
Notre bateau mis à l’eau à Marseille en 1912 a l’âge de cet homme. Ils n’ont quitté ni l’un ni l’autre la région et ils se sont rencontrés à diverses reprises dans leur jeunesse. Dans ce site tranquille du Frioul, avec ces montagnes pelées en arrière-plan, que rien n’a contrarié depuis des lustres, d’un seul coup, le vieil homme revit ses vingt ans.
Sur l’erre, nous avons empanné sage ment, traînant un large sillage courbe sur l’eau abritée. La grande bôme a balayé le pont jusqu’au couronnement arrière, sui vie bientôt par le pic, enfin d’un mouvement rapide par la vergue de flèche. Puis nous avons repris les écoutes pour venir au plus près. Le gréement s’est incliné doucement, la cravate sombre et le liston verni se sont élevés au-dessus de l’eau et quand la bôme a été ramenée dans l’axe de la belle coque blanche, que la trinquette et le foc ont été étarqués et que le bout-dehors s’est aligné vers la sortie, d’un geste de main nous avons salué notre nouvel ami. Devant ses yeux, un ange était passé mais ce n’était pas un rêve. Toute une équipe de passionnés avait travaillé pour redonner des ailes au vieil Esterel; l’histoire de sa reconstruction, après des années de doute, s’était transformée en une belle réalité.
Un des premiers 8 M JI
La Jauge Internationale créée en 1906 a beaucoup évolué et l’on a peine à reconnaître aujourd’hui les bateaux du début du siècle qui répondaient pourtant à ses exigences. Les gréements à corne et houari ont disparu depuis 1920 et avec eux les vergues et les voiles de flèche; les formes de carène ont, elles aussi, été radicalement modifiées. Les six mètres, relativement petits à l’origine, ont connu de superbes flottes entre les deux guerres. Les douze mètres, de tous temps rares en France, ont depuis 1958, grâce à la Coupe de l’America, à nouveau attiré l’attention. Entre les deux, la production des huit mètres a été plus confidentielle mais régulière. Elle mit du temps à démarrer en France puisqu’en 1909, on dénombrait seulement huit unités à flot pour soixante à l’étranger. Plusieurs flottilles ont vu le jour dans les années suivantes en Atlan tique, à Arcachon ou en Bretagne-Sud, en Manche du côté de Ouistreham et Deauville et en Méditerranée sur toute la côte française ainsi qu’en Italie, où les régates de Naples, en particulier, attiraient les Français.
Construit en 1912, Esterel est l’un des plus vieux 8 mètres JI construits à Mar seille. Commandé par des propriétaires dont les ambitions en régate étaient modestes, il a vite été dépassé dans la mesure où sa conception ne date que de six an nées après la naissance de la jauge, qui a progressé rapidement par la suite. Il n’en constitue pas moins un bateau harmonieux qui, quatre-vingts ans après son lancement, est un témoin irremplaçable du passé et dont toute la carrière s’est déroulée dans la région. Ni le chantier Louis Grossi, ni l’architecte Léon Sébille, frère du célèbre peintre Albert Sébille, ne sont familiers de la jauge internationale qui était davantage la spécialité de Guédon, Arbaut et Camatte, en France, ou de Fife et Mor gan Giles, en Grande-Bretagne. Le tandem marseillais était davantage tourné vers les « un tonneau » et autres petits bulb-keels comme les « Joliettes ». Il semble que l’architecte travaillait alors à partir d’un modèle ou demi-bloc plutôt que de plans. C’est de cette manière que Sébille s’essaya dans la jauge naissante et construisit Este rel pour les frères Henri et Jacques Michel. A cette époque, le chantier Grossi, qui avait déjà construit beaucoup de bateaux de pêche n’avait encore réalisé que peu de yachts (son premier 6 m, Quintilia, ne sera lancé que l’année suivante)*.
La rusticité de la construction, la simplicité du choix des bois et de la mise en œuvre des pièces d’origine en témoignent : membrures en chêne chantournées, bordés en pitchpin avec des pointes en cuivre mais sans rivetage aucun, pont en lattes de sapin recouvertes d’une toile de coton, lest en plaques de plomb non coulé mais assemblées et taillées à l’herminette. La survivance d’un authentique témoin du yachting français du début du siècle est à cet égard très révélatrice, et permet de renverser bien des idées reçues sur l’histoire de la plaisance; en effet on s’aperçoit, en étudiant de près les flottilles de l’époque, que cette relative rusticité était plutôt la règle que l’exception.
Quoi qu’il en soit, Esterel, conçu durant l’hiver 1911-1912 sur le quai du carénage à Marseille, à l’emplacement actuel du CNTL près du tunnel du vieux port, a tenu le coup pendant les nombreuses an nées de son histoire.
Dans une édition du 6 juillet 1912, le journal Le Yacht fait état des premiers es sais du bateau en rade de Marseille : « Le 8 m JI Esterel de la Société Nautique de Marseille a fait une première sortie en rade par jolie brise de Sud. Ce fut un plaisir pour les nombreux amateurs de yachting qui se trouvaient sur la côte d’admirer ce joli racer aux lignes élégantes et au gréement bien compris. Ce nouveau 8 m passe dans l’eau avec une aisance remarquable, ne produisant aucun remous perceptible. »
Au cours de sa longue carrière, de nombreux propriétaires tombèrent amoureux de ce voilier fin et rapide et il connut ainsi plusieurs modifications dont la principale fut la pose d’un gréement marconi, dans les années 1920. Plus malheureuse fut, en 1927, l’adjonction d’un moteur auxiliaire et l’aménagement d’une cabine protégeant des emménagements sans caractère. En dépit de ces avatars, le vieux 8 mètres gardait bon pied bon œil, et son existence actuelle témoigne éloquemment de sa robustesse.
A l’âge de quatre-vingt-cinq ans, imperturbable, Georges Fenouil sort tous les jours du port de Marseille avec sa nouvelle unité. Du coin de l’œil, il jette un regard attendri sur Esterel au mouillage. Ce fut son bateau de 1930 à 1934. Quand il l’achète à Cannes, il est déjà gréé en marconi : « Il avait un mât immense qui allait… au diable. Je me sou viens qu’un jour à Porquerolles l’un de mes mousses laissa tomber le pot de vernis juste sur mon crâne; mes cheveux étaient tellement poisseux que je dus les couper complètement. »
Il garde précieusement le « Congé » de 1932, délivré par les Douanes au « nom du peuple français », et par lequel le Président de la République… « ordonne à tous fonctionnaires publics, aux commandants des bâtiments de l’Etat et tous autres qu’il appartiendra de laisser sûrement et libre ment passer M. Fenouil Georges avec le bâtiment désigné Esterel sans lui faire ni souffrir qu’il soit fait aucun trouble ni empêchement quelconque, mais, au contraire, de lui donner toute faveur, secours et assistance partout où besoin sera… »
* La jauge internationale définit les bateaux selon une équation mathématique précise pour parvenir à la série des 6m, des 8m, des 12m, des 15m… La jauge d’Esterel correspond à celle des 8m et se définit ainsi : L + 2d + -./ S – F /2.37 = 8
L est la longueur, D, une appréciation des mesures de volume de la coque, S, la surface de voilure et F, une mesure moyen ne de la coque au-dessus de l’eau. Le chiffre 7,98 (voisin de 8) n’est pas une longueur, mais le résultat de l’équation correspondant à la classe des 8 m de Jauge Internationale. On voit que les différents paramètres de la formule font entrer en jeu les caractéristiques principales du bateau. A savoir, la longueur, la surface de voilure et le volume de la coque qui définit le déplacement. Pour arriver au résultat de 8, l’équation doit rester en équilibre; aucun facteur ne peut être modifié sans les autres. L’art de l’architecte consiste justement à faire correspondre à cette équation, un comportement marin, une esthétique réussie et sur tout les meilleures qualités de marche par rapport à des équations voisines.
Ce n’est qu’après ce travail de conception de l’architecte pour trouver le meilleur com promis concrétisé par celui du constructeur, que les compétences de l’équipage entreront en ligne de compte pour tenter d’aller le plus vite possible en régate.
Plus d’un Marseillais depuis cette date se plaît à reconnaître la silhouette de l’ancien 8 mètres qui a dû vivre de belles aventures tout au long de la côte. Il est difficile de reconstruire de façon certaine l’épopée du vieux yacht. Une chose est sûre, c’est que son histoire faillit mal tourner.
A deux doigts de l’abandon
Conservé à flot jusqu’en 1985, il est racheté « pour la place dans le vieux port » et donc sorti de l’eau. Puis il est revendu une fois encore. C’est un jeune charpentier, Philippe Lageat, qui en fait l’acquisition. Sans moyens financiers, il se contente de quelques travaux de conservation alors que le bateau se trouve sur un ter rain vague des quartiers Sud de Marseille.
Cela aurait pu être la fin d’une carrière bien remplie, mais le hasard fait quelque fois bien les choses. Par une petite annonce parue dans Le Chasse-Marée en août 1990, Patrick Williamson, le patron de la société Carènes Services, apprend l’existence du vieux 8 mètres. « Je vends ou j’échange un 8 m JI construit en 1912 contre un bateau plus petit. Toutes pro positions… » Deux choses vont le séduire. Il sait que des unités de ce type cons truites avant la guerre de 1914 sont très rares; il est frappé par le caractère local de ce bateau dessiné, construit, skippé à Marseille et ayant appartenu à un club de cet te ville. Il fait sur-le-champ un chèque de cinq mille francs. Ainsi commence une autre histoire !
Patrick Williamson est nantais et avant de s’établir à Marseille où il exerce la profession d’expert maritime, il a déjà mis son sac sur de nombreux bateaux. Dès son plus jeune âge, il ratisse la baie de La Rochelle avec le Caneton familial. A onze ans, il vit sa première expérience de « grand » bateau en embarquant à bord de l’Ariane, un yawl aurique construit justement en 1912. Il s’en souviendra toujours. Il régate également sur les 8 m JI roche lais Rhapsodie et Torribio, est l’équipier de Michel Briand sur 505, de Sence sur Dra gon et court la Half Ton Cup sur un bateau de chez Michel Dufour, chantier au quel il consacrera neuf années de sa vie professionnelle avant de monter Carènes Services à Marseille. Une moitié de vie à regarder les bateaux exerce la vue et quand Patrick se retrouve devant le vieil Estere4 il en apprécie les formes à leur jus te valeur sans s’arrêter à l’état pitoyable de la coque. L’achat n’est pas une affaire compliquée, mais il marque le début d’une belle aventure : la gestion d’une restauration complète qui va durer une année.
Sébastien Grall, le second personnage clef de cette belle histoire, est jeune charpentier de marine de vingt et’ un ans. La mer, il l’aime avec passion et il n’est pas question qu’elle reste en arrière-plan, en toile de fond de ses occupations. Esterel est l’occasion de nourrir ses rêves, de mettre ses compétences de charpentier au service de la restauration d’une belle coque ancienne. Il y consacre tout son temps d’octobre à juin, connaît le découragement et le doute mais se voit finalement récompensé de ses efforts et toute l’équipe qui lui a fait confiance est fière de lui et de sa réalisation.
Patrick Williamson a eu le coup de foudre, Sébastien Grall est dans sa foulée mais le budget d’une telle restauration – environ trois cent mille francs – n’est pas encore trouvé et Patrick se met en chasse d’une solution technique. En en parlant autour de lui, petit à petit une équipe se forme. Ils sont notaire, médecin, pilote d’essai, expert maritime… et créent à huit, une société civile. Dominique Aze, Yves Léon, Gilles Durand, Eric Philip, Yves Kerhervé, François Flotard, Roland Favre et Patrick Williamson ont en commun le respect des bateaux depuis l’enfance et ils mettent chacun leur compétence propre au service de la belle entreprise.
La restauration
Dans un endroit retiré de la société Carènes Services, Sébastien Grall, patiemment, se met à l’ouvrage. Les autres pas sent donner la main en amateur et doutent dans un premier temps devant cette vieille carcasse. De nombreuses membrures ont cassé au fil des ans. Il faut en remplacer certaines et en doubler d’autres. Il faut évacuer la ferraille utilisée pour la construction de la partie arrière et qui contribue au pourrissement du bois. Le re tour de galbord est malade et il va falloir remplacer les boulons de quille ainsi qu’une bonne partie de la quille en chêne qui supporte le lest en plomb.
Le caractère particulier de cette restau ration tient à deux facteurs, qui en ont facilité le succès. Tout d’abord, l’ardeur du jeune charpentier engagé dans une véritable course d’obstacles a étouffé dans l’œuf tout embryon de découragement. Ensuite, les solutions techniques modernes utilisées ont simplifié le problème : vissage au lieu du rivetage, mise en place de membrures ployées, inox en remplacement du galva. L’accent a été mis sur la solidité. Des couples porques en bois lamellé faisant le tour complet de la coque et du pont au niveau du mât encaissent les efforts en les répartissant. L’un des morceaux de bravoure va être le calfatage des bordés, obligatoirement réalisé de manière traditionnelle. Un travail confié au mois de mai à « Loule », le dernier calfat professionnel de la région marseillaise. Depuis l’âge de quatorze ans, et il en a soixante-dix, il n’a vécu que de ce métier. Pendant deux semaines pleines, il a tripoté entre ses mains pas moins de trois cents mètres d’étoupe et de cordonnet de coton, travail ponctué par le coup régulier du maillet sur le fer ! Quant au pont, ses barrots furent entièrement démontés. A l’origine, et comme sur la plupart des bateaux de plaisance du temps, il était entoilé, c’est-à-dire constitué d’un bois de qualité quelconque re couvert d’une toile enduite de céruse et peinte en blanc. On décida de le remplacer par un pont en teck, jugé plus esthétique et correspondant mieux à la vision que nous avons aujourd’hui du yachting. Le calfatage de cette partie a été réalisé par Patrick et Sébastien vers la fin Juin, entre 19 heures et 2 heures du matin, pour éviter les grandes chaleurs.
Dans l’équipe des huit compagnons, certains se demandaient parfois s’ils al laient naviguer un jour; puis tout a pris tournure définitivement avec l’achève ment du pont en teck. L’ordonnancement de ces longues lattes sur le pont marque un moment psychologique important : Esterel n’est plus une épave morte mais un bateau qui reprend vie. A l’intérieur, les bois répandent l’odeur forte de nombreuses variétés d’essences différentes : pitchpin de la serre-bauquière, niangon du galbord, chêne et iroko de la char pente axiale et du massif de quille, grand bassam des varangues, sipo des hiloires et plats-bords, pin d’Orégon des cale pieds… Dans la forêt enchantée, Sébastien le charpentier s’en donne à cœur joie.
Pour ne pas trop s’éloigner de l’aspect de l’ancien gréement, tout en utilisant des matériaux modernes, on a choisi de tailler les voiles dans du dacron écru de chez Tasker avec des coupes de laizes de cinquante centimètres de largeur; des cordages polypropylène imitant le chanvre de chez Lancelin ont été retenus pour les différentes manœuvres. C’est l’architecte André Maurie qui a reconstitué le plan de voilure à partir de l’ancien certificat de jauge datant de 1923 et en se basant sur le nombre de laizes telles qu’on pouvait les observer sur les photos d’époque. C’est un atelier spécialisé du Lot-et-Garonne qui réalisa les espars creux en bois lamellé-collé de pin d’Orégon.
Du pont d’Esterel, l’équipage contemple toujours le terre-plein. Il a effectué des centaines d’allers et retours entre l’atelier et le bateau, des milliers d’heures de besogne sous les bâches protégeant de la pluie, ou sous des chapeaux préservant du soleil, des joies, des peines. L’entreprise a connu l’automne et l’hiver. Le printemps est passé à toute vitesse. En juin, l’été pointe son nez quand on aborde le problème du gréement. La mer n’est pas très loin. Le 6 juillet 1991, soixante-dix-neuf ans après son premier lancement, Esterel entame sa nouvelle carrière par un baptême solennel dans le port de la Pointe Rouge à Marseille. En costumes d’époque, capelines et canotiers, les huit membres d’équipage, son talentueux charpentier et de nombreux amis laissent déborder leur joie d’avoir ressuscité le bel ancêtre.
Toute l’année, au gré de leurs temps libres, ils font naviguer Esterel comme au bon vieux temps. L’antique 8 mètres re connaît sa côte jusqu’à Saint-Tropez, où il pousse une petite pointe à l’occasion de la Nioulargue. Il y fait à nouveau la rencontre de ses compères et peut se mesurer pendant quelques jours à de fort belles unités comme Pen Duick venu lui aussi au rassemblement des beaux yachts d’autrefois.
Mais son bassin d’élection demeure la rade de Marseille qu’il sillonne en tous sens. Quittant le port, il connaît parfaite ment la direction du cap Croisette. Ce jour-là, la brise est parfaite et fait miroiter la mer au soleil. Une fois de plus, comme un miracle à chaque fois recommencé, à mesure que l’on approche du cap, le passage d’eau bleue se dégage lentement. Il s’y glisse au plus près en tirant de petits bords à l’intérieur de l’île Maire pour en faire le tour. Les oiseaux qui nichent sur l’énorme rocher lui font un brin de conduite. Puis il envoie son grand foc ballon pour revenir vent arrière par l’intérieur de Tiboulen. En un coup d’aile musclée, il a vite fait d’être par le travers du château d’If puis d’aligner son étrave ronde dans l’entrée du vieux port où ses amis les bateaux, en marque de respect, lui tirent la révérence.