©Mélanie Joubert

Cet été, le Shtandart a été privé de fêtes maritimes. Depuis le début de la guerre en Ukraine, il avait réussi à obtenir des autorisations pour naviguer presque partout en France malgré les sanctions européennes prises contre la Russie. Cette fois, c’est bien fini…

Le cinquième volet de sanctions contre la Russie stipule qu’« il est interdit de donner accès, après le 16 avril 2022, aux ports et, après le 29 juillet 2022, aux écluses, situés sur le territoire de l’Union, à tout navire immatriculé sous pavillon russe, à l’exception de l’accès aux écluses pour quitter le territoire de l’Union ». Le Shtandart, réplique d’une frégate de Pierre Le Grand, lancée en 1999, qui battait encore pavillon russe le 6 juin dernier, pouvait être à première vue visé par ce texte. Toutefois, considérant qu’il était la propriété d’un particulier, que son activité était gérée par une société basée en Allemagne et qu’il semblait ne pas avoir de liens avec le pouvoir – les sanctions visent prioritairement ceux qui soutiennent l’effort de guerre ou l’économie russe –, les autorités françaises le laissaient accéder à nos ports. 

C’était aussi le cas de l’Espagne, mais pas des autres pays de l’UE. « Des passe-droits qui n’ont aucune valeur, s’insurge Bernard Grua, journaliste et militant pro-ukrainien, qui a monté le collectif No Shtandart in Europe. Ce navire a enfreint les sanctions à plusieurs reprises en venant accoster en France, avec l’aide des autorités françaises. » C’est pour ces raisons que des collectifs d’aide à l’Ukraine militaient depuis deux ans pour faire interdire le navire quand, le 24 juin dernier, un règlement européen a « clarifié » la situation en précisant que les sanctions concernaient aussi les « répliques de navires historiques ». Même si le Shtandart venait de troquer le 6 juin le pavillon russe pour celui des îles Cook, il devenait difficile, cette fois, de considérer qu’il n’était pas concerné par les sanctions. D’où l’arrêté du 10 juillet dernier pris par la préfecture du Finistère… à deux jours des fêtes maritimes de Brest.

Depuis, le navire a tout juste le droit de mouiller près des côtes pour faire de l’eau et des vivres. Le capitaine, qui a pu débarquer pour se rendre aux fêtes de Brest, s’interroge : « Nous avons toujours fait ce qu’on [le Secrétariat à la mer] nous a demandé. Nous avons arrêté d’arborer le pavillon russe, puis changé de pavillon, car les autorités craignaient de potentiels débordements lors de manifestations d’opposition à la Russie. Par ailleurs, c’est ma fille, citoyenne finlandaise, qui est désormais propriétaire du bateau. »

Pour Thierry Clerc, avocat du Shtandart, « même si le règlement parle désormais de “répliques de navires historiques”, il a été adopté après le changement de pavillon. Nous allons donc essayer de faire annuler cette version du règlement du 24 juin 2024, en arguant du fait que les règlements européens ne sont pas rétroactifs, sauf si c’est spécifiquement stipulé – or ici, ça ne l’est pas. Par ailleurs, nous essaierons aussi de montrer que cet article du cinquième volet vise spécifiquement le Shtandart, ce qui ne nous paraît pas légal. » Il n’y aurait en effet pas d’autres répliques de navires historiques russes naviguant en Europe.

Vladimir Martus est à l’origine de la construction du Shtandart et demeure son capitaine vingt-cinq ans plus tard. ©Lou Benoist/AFP

« Enfin, quand on regarde bien tout le texte du règlement, et pas juste cet article visant les navires répliques historiques, on peut y lire les motivations du Conseil de l’Union, à savoir contraindre l’activité des navires pouvant financer la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. La liste des navires est précisée dans une annexe, et le Shtandart n’y figure pas. »

Les détracteurs disent aussi que le capitaine serait proche du pouvoir actuel. Ce qu’il conteste, comme ses soutiens : « Il n’a vraiment plus aucun lien avec la Russie, explique Hugues, qui a longtemps navigué sur le Shtandart, et a souhaité rester anonyme par peur de représailles de la part des opposants au navire. Les capitaux ont été déplacés en Allemagne, et Vladimir détient la carte verte allemande. En plus, le navire n’est jamais retourné en Russie depuis 2009, quand il a dû quitter le pays en catimini. » En effet, dans les années 2000, le navire aurait été convoité par des personnes proches du pouvoir russe. Devant le refus de Vladimir Martus de le leur vendre, le bateau aurait été victime de mesures de restriction. Le Shtandart a donc quitté la Russie pour l’Europe de l’Ouest, en particulier la France et La Rochelle, devenue son port d’attache par adoption.

Bernard Grua voit pour sa part dans la réplique « un outil de propagande russe » et note que son capitaine n’a jamais pris position officiellement contre la guerre. Vladimir Martus l’admet, mais évoque la « peur de représailles en Russie pour les gens qu’il connaît et qui y sont encore ».

Le Shtandart continue de se montrer sur les côtes françaises, où l’accueil est mitigé – accepté ici, refusé là. Il pourrait éventuellement se rendre en Angleterre, où des soutiens lui ont proposé de venir, mais des visas seraient nécessaires pour les marins de certains pays présents à bord. En revanche, le capitaine ne souhaite pas gagner un port extra-européen ; selon lui, cela n’aurait aucun sens par rapport à la démarche historique dans laquelle il inscrit son trois-mâts. En outre, naviguer dans des mers chaudes exposerait son bateau aux attaques des tarets, ce dont il n’a pas besoin… 

Car, d’après le capitaine, le trois-mâts en bois de 34,50 mètres, vieux de près de 25 ans, aurait besoin d’entrer en cale sèche pour des réparations structurelles. Et il va devenir compliqué de trouver ne serait-ce que les 300 000 euros de l’entretien courant du Shtandart qui se finançait sur les festivals et les embarquements…

Maud Lénée-Corrèze

Publié dans Le Chasse-Marée 341 – Octobre-Novembre

Photo de une : Mélanie Joubert