Sur le petit écran
« Je hais les voyages et les explorateurs » proclamait Claude Lévi-Strauss dans l’incipit de Tristes tropiques (1955). Cette hostilité est aujourd’hui portée par des militants qui déboulonnent les statues des « découvreurs » occidentaux, avant-garde des drames de la colonisation. On était donc curieux de voir comment ARTE allait s’emparer de l’un de ces sombres héros de la mer, le portugais Fernão de Magalhães (1480-1521), devenu Magellan en se mettant au service du roi d’Espagne, Charles Quint.
Les quatre épisodes racontent l’odyssée de l’Armada des Moluques, cinq nefs parties de Séville en 1519 afin de contester le monopole portugais sur le commerce des épices. Le récit progresse grâce à plusieurs dispositifs narratifs. Classiquement, la parole est donnée à des historiennes et historiens, à l’éditeur de la chronique d’Antonio Pigafetta, source majeure de cette histoire, mais également au chef cuisinier Olivier Roellinger et à deux marins, Robin Knox-Johnston et Jean-Yves Bernot. Ces derniers commentent avec précision les conditions de navigation de l’armada, soutenus par des cartes animées, à la manière d’un Vendée Globe de la Renaissance. Les décors alternent entre de spectaculaires paysages marins et littoraux, et des lieux de savoir, en particulier l’Archivio General de Indias, à Séville. Le réalisateur a eu la bonne idée de faire lire des archives : les listes d’avitaillement, en particulier d’impressionnantes quantités de vin de Jerez, ou encore les nationalités représentées dans les équipages cosmopolites des nefs…
L’usage d’images subtilement animées, dues au studio Remembers d’Ugo Bienvenu, est très intéressant. Leurs teintes froides permettent de donner à voir les épisodes les plus noirs de l’expédition : la répression féroce de la mutinerie en baie de Saint-Julien ; les sévices infligés aux Amérindiens Tehuelche, embarqués de force en Patagonie ; l’arrivée aux Philippines des corps décharnés des marins, que les rois locaux considèrent comme des brutes sans manières. La circumnavigation imprévue qui ramène en Espagne une seule nef, la Victoria, avec dix-neuf survivants à bord, est la conséquence de nombreux drames, dont la mort de Magellan sur la plage philippine de Mactan. On est donc loin du héros célébré par Stéphane Zweig (1938), sans aller jusqu’à écrire l’histoire du point de vue insulindien, comme le propose Romain Bertrand, l’un des historiens interrogés dans le film, dans son passionnant ouvrage Qui a fait le tour de quoi ? L’affaire Magellan (Verdier, 2020). Vincent Guigueno
François de Riberolles, L’incroyable périple de Magellan (4x52mn), à voir sur <arte.tv> jusqu’au 17 janvier 2023.
Crédits photos : © Caméra Lucida