Parti de Saint-Malo le 18 novembre 2020, le voilier cargo Grain de Sail, armé par la société du même nom, a accosté à Nantes le 17 février dernier, les cales chargées de cacao, au terme d’une boucle Atlantique de 9 500 milles, en passant par New York et la République dominicaine.
« Grand-voile amenée, bas ris sur la misaine, trinquette et un tiers de génois, on a filé 22 nœuds sur un surf lors de la transat retour, dans 40 nœuds de vent », raconte Loïc Briand, le capitaine du voilier cargo de l’entreprise morlaisienne Grain de Sail (CM 315), au terme de sa première boucle transatlantique. « Le bateau est vraiment sûr, il passe bien dans les mers fortes et en ce qui concerne la cargaison, rien n’a bougé. » Mené de main de maître par Loïc Briand, accompagné de Faustine Langevin, Goulwen Josse et François Le Naourès, le voilier cargo construit par Alumarine a fait ses preuves dans le gros temps en essuyant plusieurs tempêtes, avec parfois 60 nœuds de vent en rafales et des creux de 8 mètres, sans jamais avoir besoin de mettre à la cape.
Chacune des deux transatlantiques a duré quatre semaines et la moyenne journalière du navire est de 150 milles. « Les bonnes journées, on est montés jusqu’à 230. » Initialement, Loïc Briand, très compétent en météorologie, pensait assurer son propre routage. Finalement, il a eu recours à la société Circum Océan, essentiellement parce qu’il a choisi des options très engagées et qu’il n’avait pas la disponibilité nécessaire pour surveiller en permanence tous les modèles – d’autant qu’ils se contredisent parfois.
Première destination : New York, où le voilier doit décharger les quatorze mille bouteilles de vin bio solidement arrimées dans ses cales. Loïc Briand décide de passer par le Nord, en dessous du Gulf Stream. La route des alizés, très au Sud, aurait fait perdre trop de temps au voilier cargo. En cas d’avarie, elle constituait malgré tout une option pour se mettre en sécurité.
Au niveau des Açores, une petite voie d’eau se déclare, entraînant, raconte Loïc Briand « un court-jus en machine. Le moteur a essayé de se lancer tout seul, ce qui a mis une claque au démarreur. Résultat : pas de moteur ! » La pièce de rechange ne pouvant être récupérée qu’à New York, l’équipage poursuit sans propulsion mécanique : la consommation du navire en reste à quelque 60 litres de gasoil sur toute la traversée. « On a étalé nos consommations électriques courantes avec les énergies “bord” – panneaux solaires, éoliennes, hydrogénérateurs –, et on a fait tourner le groupe électrogène pour la machine à laver et le chauffe-eau, une heure tous les deux jours. » Une fois passé l’anticyclone des Açores, le capitaine a joué avec les dépressions qui se forment entre le golfe du Mexique et les Bermudes.
La veille de l’arrivée et de la venue à bord du pilote – chargé d’apporter la pièce manquante avant l’entrée dans le port – Loïc Briand tente de virer le moteur à l’aide d’un palan et d’un winch électrique. Sans succès… Il constate alors que les cylindres sont pleins d’eau. Le capitaine, issu de la filière polyvalente de la marine marchande, connaît aussi bien la machine que la voile et parvient à préparer le moteur pour sa remise en route. « Heureusement qu’on s’en est rendu compte avant de lancer le moteur, car pour le débloquer, cela n’a pas été simple. Il a fallu démonter les vannes d’injecteur et les cache-culbuteurs, puis virer à la main avec les injecteurs ouverts et aspirer dans chaque cylindre pour purger, puis vider l’échappement et le pot. » Le problème viendrait du montage du passe-coque d’échappement de l’eau de mer.
À New York, le pont est recouvert de neige, la température extérieure est de -10 degrés, le chauffage tourne, consommant au total 400 litres de carburant en trois semaines de séjour au port. En l’absence d’électricité sur le quai, le groupe a aussi tourné en permanence. Le vin est déchargé et, tout début janvier, Grain de Sail reprend la mer sur ballasts, pour Puerto Plata, en République dominicaine, où seront embarquées 33 tonnes de masse de cacao qui seront transformées en tablettes à Morlaix. Pour la route, Loïc Briand se concentre sur le choix de la date de départ afin de limiter au maximum les aléas météorologiques, car le voilier passera par la zone de cyclogenèse, où se forment les dépressions.
Grain de Sail appareille le 21 janvier pour l’Europe. Le capitaine opte pour une route au Nord, histoire de raccrocher les traînes des dépressions et de prendre ensuite le maximum de tempêtes pour arriver au plus tôt avec des vents portants.
Du fait du pilote automatique qui ne fonctionnait pas, sa pompe ayant été sous-dimensionnée, il a fallu beaucoup barrer sur l’ensemble du trajet. Heureusement, le poste de barre est bien protégé. « C’est un iglou, ajoute Loïc en souriant. À l’aller, en l’absence de pilote automatique, nous avons appris à équilibrer le navire sous voiles au près, le gréement de goélette étant très pratique pour cela. Une fois au cap, on règle les voiles pour qu’il soit un peu ardent et la barre pour qu’il abatte, avec moins de 5 degrés. Une fois réglé, le bateau réagit bien, en suivant les adonnantes ou les refusantes. » Ces réglages tiennent toutefois moins au portant – surtout dans des creux de huit mètres !
Le 17 février, Grain de Sail arrive à Nantes. Le voilier devrait repartir pour une nouvelle rotation en avril, après un arrêt technique à Saint-Malo au mois de mars. Loïc Briand ne sera pas du voyage : il planche déjà sur le prochain navire de la société, qui fera plus du double en longueur de l’actuel voilier cargo, soit 50 mètres, et pourra charger 250 tonnes. Jean-Yves Béquignon