L’Association les ami.e.s du Lacaze-Duthiers (AALD) s’intéresse de près au premier bateau du laboratoire Arago de biologie océanologique de Banyuls-sur-Mer, fondé en 1882. Après avoir réalisé une monographie sur cette balancelle, appelée mitjane en catalan, elle envisage d’en construire une réplique pour la faire naviguer sur la Côte Vermeille.
À Banyuls-sur-Mer, l’Association les ami.e.s du Lacaze-Duthiers (AALD), créée en 2020, souhaite construire une réplique d’une mitjane, un terme catalan qui désigne un bateau de pêche à deux mâts de 14 à 20 mètres, plus grand que le sardinal (8 à 12 mètres). La mitjane en question est aussi un bateau historique, qui portera le nom du professeur et académicien Henri de Lacaze-Duthiers (1821-1901), éminent zoologiste à qui l’on doit la création de la station biologique de Roscoff en 1872, puis celle du laboratoire Arago de biologie océanologique de Banyuls en 1882.
Tout a commencé en 1881 lorsqu’une souscription des habitants de Banyuls-sur-Mer permet d’offrir au laboratoire naissant une mitjane, avec ses apparaux de pêche, pilotée par M. Bonafon. Les affaires maritimes l’inscrivent dans les registres comme balancelle et le bateau prend le nom de Lacaze-Duthiers. La mairie de Banyuls, de son côté, offre le terrain du Fontaulé pour y établir le bâtiment du futur laboratoire scientifique et le dote d’une rente annuelle.
En 1891, l’établissement reçoit en don une autre embarcation à voile latine, de 2 à 3 tonneaux, la Gérardia, pour mener à bien ses observations. En 1892, Henri de Lacaze-Duthiers souhaitant disposer d’un bateau à vapeur, le prince Roland Bonaparte offre une somme qui permet d’acheter un navire construit à La Seyne, baptisé Roland et mis en service en 1893. Ce vapeur de 21 mètres s’amarre au bassin construit en 1894 devant le laboratoire, qui sert aussi de cale de radoub et de viviers. En 1900, pour le remplacer, le chef du laboratoire décide de faire construire un nouveau vapeur en bois par le charpentier de marine banyulenc M. Bonafos : ce sera le Roland ii de 20,70 mètres. D’autres embarcations suivront, mais Henri de Lacaze-Duthiers ne les verra pas, car il s’éteint en 1901 à Las Fons en Dordogne. Par attachement à son établissement de Banyuls, il a souhaité être enterré sur le promontoire du Fontaulé, face à la mer.
Le premier bateau du laboratoire, la mitjane donc, est connue grâce à des photographies issues du fonds d’archives de la bibliothèque de l’Observatoire océanologique de Banyuls : la première a été prise en 1882 et d’autres clichés attestent sa présence après 1911. La date de sa construction et le charpentier sont inconnus, mais il s’agit probablement du chantier Bonafos de Banyuls – ses barques présentent en effet une courbure d’étrave assez singulière. On ignore également la date de son désarmement. Le Lacaze-Duthiers d’origine n’était pas motorisé, et elle était mue dans le port par deux à quatre rames de 5,80 mètres.
Dès 1893, avec l’arrivée à Banyuls de Louis Boutan, précurseur de la photographie sous-marine, le Lacaze-Duthiers sert de ponton pour la mise en œuvre du scaphandre pied lourd dont l’usage se répand, son franc-bord peu élevé facilitant la mise à l’eau. Boutan réalisera la première photo sous-marine du monde en 1897 avec un éclairage artificiel par 50 mètres de fond. En entrant au service du laboratoire Arago, le Lacaze-Duthiers réalise donc une reconversion réussie et, pendant dix ans, il assurera seul un rôle logistique, amenant les étudiants en mer pour leur permettre de collecter des échantillons de spécimens marins.
C’est pour ces raisons que l’AALD, qui entend participer de manière active au développement du patrimoine littoral de la Côte Vermeille et promouvoir les barques catalanes et la voile latine auprès du plus grand nombre, a choisi ce bateau emblématique. Une idée intéressante, puisque ce type n’existe plus en France. Côté Catalogne espagnole, en revanche, on trouve une barca de mitjana, le San Ramon, de 18 mètres, à Palamos.
À l’occasion du bicentenaire de la naissance du scientifique en 2021, l’association a réalisé une monographie sur le Lacaze-Duthiers. Marc Bataille, ancien ébéniste et menuisier, qui navigue aussi sur des barques catalanes dans le milieu associatif, a ensuite profité du confinement pour retracer ses plans à partir des photographies, le bateau « lui ayant tapé dans l’œil » ! Actuellement, il travaille sur les futures missions de la mitjane, car « il ne s’agit pas de faire un bateau de plus pour faire joli sur les cartes postales. Nous voulons lui trouver une vraie vocation et lui assurer un programme pour les deux, trois ans à venir. Il pourrait ainsi servir de support à une découverte de l’environnement marin et de la pêche, auprès des scolaires et des touristes, mais aussi, pourquoi pas, à l’étude des crabes bleus qui ont envahi l’étang de Canet. »
Concernant le nerf de la guerre – le budget prévisionnel de la construction tourne autour de 60 000 euros –, l’AALD est en contact avec le Parc naturel marin du golfe du Lion, le département des Pyrénées-Orientales et la région, via l’appel à projets Nérée, piloté par le parlement de la Mer. La prochaine étape sera d’établir une version numérisée des plans qui permettra de débiter, grâce à une machine de type trois axes, les éléments de structure dans des massifs de bois contrecollé. Les membres de l’association se chargeront ensuite de les assembler. Enfin, le quai du Patrimoine de Port-Vendres serait idéal pour accueillir le nouveau bateau dont la construction pourrait débuter en 2023. Nathalie Couilloud