Hold-up en vert sur l’océan – Aussi loin que remontent ses souvenirs, les marins pêcheurs étaient les héros de son enfance, au Guilvinec. Et puis Catherine Le Gall est partie vivre et travailler comme journaliste à Paris, et quinze ans plus tard, quand ce boulot la ramène en terrain d’enfance pour un reportage sur la pêche, son regard a changé. Surpêche, fraude, massacre des dauphins… Ses anciennes idoles sont présentées comme des brigands, des voyous et elle-même ressent à leur égard un profond malaise… Que s’est-il passé ? Partant honnêtement de ce déchirement personnel, mais sans prétendre redorer leur blason, elle a enquêté, sérieusement, pour comprendre comment « ses » pêcheurs se sont retrouvés dans le collimateur des ONG environnementalistes, Sea Shepherd, Bloom, et autres… Cloués au pilori de l’opinion publique comme responsables de la dégradation de l’environnement marin, plutôt que, par exemple, les industriels de l’agrochimie, du pétrole (80 pour cent de la pollution marine est d’origine terrestre), le tourisme de masse… Boucs émissaires ? Mais de quoi ? De qui ? Le cas échéant, pourquoi ?
On s’éloigne du sujet ? On quitte le pays bigouden, en tout cas, car cette enquête nous mène chez les financeurs des ONG, des militants sincères en partie, mais aussi des fondations alimentées par les grandes fortunes de l’industrie pétrolière et de la haute technologie. Elle nous amène au cœur des enjeux fabuleux de partage des richesses halieutiques, mais aussi minières et énergétiques de l’océan… et déconstruit le récit néolibéral sur l’écologie, qui fait de l’océan à protéger un nouveau gâteau à partager entre businessmen avisés. Car l’« économie bleue » n’est pas le fait du peuple ou même des militants vêtus de noir qui jouent aux pirates sur les Zodiac des amis des dauphins. Là, on joue dans la cour des grands et il s’agit surtout d’occasions de faire de grosses, grosses affaires… Développant sous une forme vivante, très claire, nourrie des dernières actualités – et donc d’autant plus accablante – les analyses qu’Alain Le Sann avait évoquées dans ces pages voici quelques années (CM 300), elle révèle de nouveaux enjeux, sans cesse exacerbés. Après ces explications sur l’Imposture Océanique – titre de ce brûlot salutaire –, c’est les yeux dessillés qu’on retournera se promener sur le port. J. v. G.
L’imposture océanique, Le pillage « écologique » des océans par les multinationales, Catherine Le Gall, La Découverte, « Cahiers libres », 240 p., 18,50 euros
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Alain Le Sann – « Ne laissons pas privatiser les océans », article publié dans le n° 300 du Chasse-Marée en 2018.
Propos recueillis par Philippe Urvois – Comment un écologiste, un humaniste convaincu peut-il remettre en cause les organisations non gouvernementales censées lutter pour la protection des océans ? En démontrant que nombre d’entre elles, financées par des fondations liées à des multinationales, dotées de puissants moyens et de plans médias en béton, agissent pour privatiser les mers et leurs ressources. Alain Le Sann, créateur du festival Pêcheurs du monde et président du collectif Pêche et Développement, estime quant à lui que les océans sont un bien commun : leur gestion doit rester publique, pour un partage équitable. Un discours détonnant, qui peut surprendre certains militants…