Alors que le soleil commence à éclaircir la nuit, je débouche sur le pont du Morgenster, cueilli par 45 nœuds de vent de Sud, bien frisquet. Le port, sans une âme qui vive, est si clapoteux que les embruns mouillent le quai du Commandant-Samary. Deux jours plus tôt, déjà, un incroyable coup de tabac et des trombes d’eau ont contraint d’annuler la première journée d’Escale à Sète, qui a eu lieu du 26 mars au 1er avril derniers.
Il en aurait fallu bien plus pour contrarier la fête qui a fini sous le soleil. Le public a répondu par une forte affluence à l’offre très riche qui lui était proposée. « Si tu veux tout voir, rencontrer, discuter, il faut au moins trois jours », me lance Raymond Dublanc, vice-président de l’association organisatrice. Il dit vrai. Sous le bout-dehors du Belem, le village japonais se repère aisément à ses koinobori (les « cerf-volants carpe ») et à l’animation autour de la construction d’un honryousen par de jeunes Sétois, dirigés par le charpentier américain Douglas Brooks.
Plus loin, les Vénitiens d’Arzana voisinent avec les Croates. À gauche, les amateurs de « bédés » maritimes ont cette année leur salon où les auteurs dédicacent ; à droite, Patrice Resch de l’association La Partègue captive son auditoire en détaillant le fonctionnement d’une madrague…
Les mains courent sur des plats-bords, caressent des bordages… L’Inglesina exposée par l’association du lac Majeur, Vele d’Epoca Verbano, captive le public : au milieu du XIXe siècle, ces jolis bateaux d’aviron avaient été ramenés par les Anglais venus en villégiature en Italie, avant que les habitants ne les adoptent.
Au détour des quais, felouque et catalane
Le long du quai, on patiente pour visiter les grands voiliers, du « petit » Galeón à la majestueuse Santa Maria Manuela, en passant par la jolie goélette espagnole Aran. On apprécie les savoir-faire, comme les travaux de matelotage de l’Atelier de l’Hirondelle, tandis qu’à côté Mickael Eymann dessine ses navires de cœur. « Là, ce sont des Auvergnats avec lesquels on a reconstitué l’ambiance des quais peints par Vernet, m’explique Raymond que je croise à nouveau. Et ici, ces Italiens font revivre l’époque de la chasse à la baleine. On dirait que le gars qui grave des scrimshaws a fait ça toute sa vie ! » À la coupée de la Grace, une jeune gabière l’interrompt. Elle tient à lui montrer ses travaux de matelotage dans le cadre du concours qu’il organise. Je me demande qui est le plus passionné des deux…
Au détour des quais, on remarque une felouque, une catalane, un fabricant de pavois pour les joutes… Sur scène, les Corses d’Eppò enflamment les auditeurs, bientôt rejoints par Wolfgang Idiri, le directeur de l’événement, qui remercie, ému, avant de se lancer dans un chant corse repris par la foule. Le moment est incroyable, comme le sera le défilé du samedi, flamboyant mezzé de toutes ces cultures mélangées. La fête est riche, populaire, joyeuse… Oui, Raymond, trois jours ne suffisent pas. G. J.
Publié dans Le Chasse-Marée 339 – Juin-Juillet