Deux pièces majeures du patrimoine fluvial nantais sont aujourd’hui en passe d’être classées au titre des Monuments historiques. Une particularité de taille : les deux navires sont identiques… à l’échelle près.
Tout aura commencé par la requête d’un armateur. En août 2020, à Nantes, les Chantiers de l’Esclain interrogent la Maison des hommes et des techniques (MHT), leur « voisin de la rive d’en face », pour savoir s’ils ont dans leur fonds les plans du remorqueur Émile Paraf. Le Chantier de l’Esclain, propriétaire de ce navire centenaire désormais nommé l’Imprévu souhaite en effet le remettre dans son état de neuvage. Quant à la mht, centre de ressources et lieu d’exposition consacré au monde naval, ils ont dans leur collection son modèle…
L’Émile Paraf est un précieux témoin de l’histoire du port de Nantes. Construit en 1903 en acier riveté aux Chantiers de la Brosse et Fouché à Nantes (futur Ateliers et Chantiers de Bretagne), il mesure 15,50 mètres de long pour 4,40 mètres de large et 1,03 mètre de tirant d’eau. Il a été commandé par la Société des mines et fonderies de Pontgibaud, alors dirigée par Émile Paraf, pour les Fonderies et laminoirs de Couëron, leur site ligérien. Doté d’une machine à vapeur de 75 chevaux, le navire sera affecté au remorquage des chalands de minerai de plomb, activité qu’il assurera jusqu’en 1955. Il est alors cédé à un ferrailleur puis racheté par la société Halgrain, qui charge les chantiers Merré de le remotoriser en Diesel et de revoir ses superstructures. C’est peut-être à cette époque que l’Émile Paraf est rebaptisé Imprévu. Converti en pousseur de chalands de sable, il va désormais poursuivre son activité aux sablières du pays de Retz jusqu’en 1978, année où il passe aux mains des Établissements Moreau-Arthon.
Dans les années 1990, son activité cesse avec l’arrêt de la prise de sable en Loire. Prêté un temps à l’association des Bateaux du port de Nantes, l’Imprévu est vendu en l’an 2000 au chantier de l’Esclain qui l’utilise au remorquage jusqu’en 2017, date à laquelle son état ne permet plus de le faire travailler…
En revanche, son modèle, lui, continue à servir ! C’est en 1941 que des apprentis des Ateliers et Chantiers de Bretagne sont chargés de réaliser un modèle du remorqueur pour acquérir le vocabulaire nécessaire à la chaudronnerie navale et de situer les éléments de coque les uns par rapport aux autres. Ce modèle pédagogique est réalisé en Duralumin, alliage d’aluminium récupéré sur les épaves d’escorteurs coulés par les bombardements alliés du port et des chantiers navals. Aujourd’hui exposé à la MHT, il poursuit son rôle d’apprentissage auprès des visiteurs. Il n’est plus permis de monter et démonter le modèle, mais grâce à un système de lumières, le public peut toujours le « faire parler », ébloui par cette pièce technique qui ramène à l’enfance, comme il sera fasciné par l’Imprévu redevenu Émile Paraf…