Dans un monde qui défend la différence, où la mode est à la «disruption» – fantasme des fades et des suiveurs, le plus souvent –, certaines pratiques continuent malgré tout à faire sourire, certains centres d’intérêt demeurent étonnamment plus ou moins avouables… Comme le goût pour les créations en coquillage par exemple, un art auquel Youen Durand (1922-2005) a consacré une partie de sa vie, et dont on pouvait découvrir les œuvres au Guilvinec, dans le Finistère, cette fin d’été. À ma plus grande joie.

Né il y a un siècle à Lesconil, Youen Durand y a passé sa vie, d’abord comme tailleur, puis employé à la criée, dont il finira directeur. Dès sa jeunesse, il peint. Des toiles naïves, toujours très colorées, souvent maritimes. En 1957, il se met à composer de petits sujets puis des modèles de bateaux en coquillages, avant d’entamer la réalisation d’un gigantesque diorama de carrosse, féerie qu’on dirait en nougatine avant de s’apercevoir que les roues sont faites de carapaces de langoustines et les jambes des chevaux, façonnées dans des pattes de langoustes. Mais c’est dans les années 1980 que sa production s’accélère et se spécialise dans les tableaux en coquillages, souvent de très grand format. Vingt-quatre œuvres succèdent au Port byzantin (1981) dont la dernière en 2000, cinq ans avant la disparition de l’artiste.

Chaque été, dans les années 1990, Youen Durand exposait à Lesconil, expliquant sa technique aux visiteurs, sans jamais accepter de vendre une œuvre, sauf une, à Gwenn-Aël Bolloré, qui aurait beaucoup insisté pour pouvoir l’exposer dans son Musée océanographique de l’Odet. Les pêcheurs apportaient à l’artiste sa matière première. Une fois les coquillages lavés, il les triait par genre et par couleur. Il passait ensuite aux croquis et à la composition, puis il faisait fabriquer le cadre par un menuisier, avec un fond en bois de 2 centimètres d’épaisseur sur lequel il décalquait son dessin préparatoire. Reliefs et personnages sont réalisés en papier mâché ; les coquillages – et même des pelures d’oignon – sont collés puis vernis pour rappeler l’aspect qu’on leur connaît, mouillés, sur l’estran.

En 2010, Marie-Christine Durand – sans aucun lien de parenté -, découvre cette œuvre léguée à la ville de Plobannalec-Lesconil et à laquelle elle consacre un livre. En 2013, une association est créée pour la valoriser, exposant chaque année ces tableaux aux scènes réalistes ou oniriques, monde enchanté et lumineux où même les animaux sourient.

Si Youen Durand a poussé très loin la maîtrise de cet art naïf, d’autres se sont aussi illustrés dans le genre, comme Sabato Rodia qui, de 1921 à 1954, à Los Angeles, a bâti les Watts Towers, un ensemble de huit tours enrichies de sa pêche. Une histoire que nous apprend la journaliste Krista Langlois, sur l’excellent site Hakai Magazine, qui a consacré un article à ces œuvres, mais surtout à ce que l’emploi des coquillages nous raconte… C’est qu’on trouve, sur tous les continents, des outils, des bijoux, des objets rituels faits dans les coquilles des mollusques. Autant de pièces qui voyagent, quand elles servent de monnaie d’échange, comme en Papouasie où les Eipo, un peuple des montagnes, utilisent des coquillages comme numéraire… sans savoir qu’ils viennent de la mer. Et que dire de ces coquillages qu’on trouve partout dans des lieux funéraires, probablement parce que, selon l’archéologue Ashley Dumas, en illustrant le lien entre la terre et la mer, ils serviraient d’allégorie du passage entre la vie et la mort? «La coquille nous rappelle que l’âme qu’elle protégeait était encore plus belle qu’elle…»

Une souscription a été ouverte pour la réédition du livre Youen Durand, l’art des coquillages,
<cutt.ly/cagnotteYouenDurand>, et un site évoque son œuvre en ligne : <youendurand.com>.
Pour lire The symbolic seashell, de Krista Langlois : <hakaimagazine.com/features/
the-symbolic-seashell>.