Une exposition consacrée aux bistros… Vous imaginez avec quelle impatience chacun attendait son vernissage ! En toute rigueur, nous nous demandions surtout ce qu’on allait bien y découvrir, dans le cadre « maritime » du Port-Musée de Douarnenez. Était-ce bien sérieux ?
Un mur couvert de marques de filets, un modèle de dundée et nous voilà au comptoir. « Trois salles, trois ambiances » pourrait être le résumé de ce début de visite. Trois reconstitutions de débits de boisson douarnenistes pour raconter trois époques, les années 1910, 1930 et 1960. Passées quelques explications sur le développement, en France, du bistro avec la révolution industrielle, l’histoire tend vers le local. Appuyés au comptoir – le « quart » de gwin ruz en moins – on écoute le témoignage d’une tenancière, d’un marin, d’un touriste, ou encore celui de Jacques de Thézac qui a tant fait pour lutter contre le fléau de l’alcool chez les marins… On apprend le rôle majeur de ces lieux. « Étroitement associée à l’équipage, [la bistrotière] fait office de banquière. […] On
sollicite sa prise de “parts” dans le bateau pour aider un patron pêcheur. […] Il n’est pas rare non plus qu’elle s’occupe de la comptabilité générale des campagnes de pêche. […] Le café est aussi un “sas”, un palier entre la mer et la terre, entre la vie à bord et le retour à la maison. »
Après la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles pêcheries vont être exploitées : Mauritanie, Nord-Irlande, Nord-Écosse… Les marées se font plus longues. Le marin fréquente moins les bistros, d’autant que la paye se fait désormais par chèque. L’habitat ayant évolué, le « chez soi » devient plus agréable. Les ménages se dotent de voitures… qui permettent aux épouses de venir chercher leurs maris directement au bateau. Alors le bistro se fait bar, s’adaptant à une nouvelle clientèle qui veut un juke-box ou un baby-foot, comme des heures de fermeture plus tardives…
Bistro, l’autre abri du marin, c’est aussi un gros plan sur les alcools consommés, et notamment le vin d’Algérie qui représente, en valeur, plus de 60 pour cent des exportations de l’Algérie coloniale. Pour le transporter, on arme des pinardiers. Pour le stocker, on crée des chais, comme à Quimper où ce négoce permet de relancer le port.
En 1920, Douarnenez comptait plus de 500 bistros et plus de 5 000 marins pour un peu plus de 20 000 âmes. Un siècle plus tard, ces deux premiers nombres ont été divisés par quinze, dans une presque exacte proportion… Aujourd’hui, les habitants qui appartiennent au monde maritime y sont peu nombreux. Il fallait bien une exposition pour rappeler cette riche histoire. Et c’est bien là tout l’intérêt de celle-ci, et tout son génie : raconter un pays, des métiers, des pêcheries, une société tout entière à travers ces lieux révélateurs que sont les bistros.
Bistro, l’autre abri du marin est d’autant plus admirable quand on découvre sa genèse et sa réalisation : initié par le Port-Musée, le projet a été mené par une équipe de bénévoles encadrée par Emglev Bro Douarnenez, association de valorisation, de la langue et de la culture bretonne. Tous méritent bien qu’on trinque à leur santé pour ce très bel événement. Yec’hed mad !
Bistro, l’autre abri du marin, à découvrir au Port-Musée, à Douarnenez, jusqu’au 1er novembre 2020.