Comme chaque année, le festival international Jean Rouch fait escale au musée du Quai Branly-Jacques Chirac pour une semaine de projections, de rencontres et de débats passionnés. Parmi les films sélectionnés pour leur qualité esthétique et leur intérêt ethnographique, un documentaire indien s’inscrit dans la veine du « cinéma maritime ». Réalisé par Sarvnik Kaur, Against the tide raconte la vie de deux familles appartenant à la communauté des pêcheurs de Mumbaï, les Kolis.
Rakesh et Ganesh sont cousins et amis depuis l’enfance, comme leurs pères l’étaient avant eux. Mais leur amitié est éprouvée par la raréfaction de la ressource, face à laquelle ils adoptent des stratégies opposées. Attaché à la tradition, Rakesh Koli travaille seul sur un petit bateau, sans quitter les hauts-fonds qui bordent la côte. Sa femme Devyani vend le produit de la pêche à des prix souvent dérisoires. Les affaires vont mal. Rakesh doit vendre son bateau pour couvrir les frais médicaux de son bébé, qui souffre d’une malformation cardiaque.
Ganesh Nakhawa, lui, n’a rien d’un pêcheur « traditionnel ». Pendu à son téléphone portable pour suivre les cours du poisson à la criée ou rassurer ses multiples créanciers, il circule dans une voiture arborant le hashtag #thelastfishermanofbombay. Sur le site internet éponyme, il se présente comme appartenant à la septième génération d’une famille de Kolis. Après des études de finances en Écosse, il est revenu à Mumbaï pour travailler au sein de sa communauté. Pour lui non plus, la vie n’est pas simple : les dettes s’accumulent, si bien qu’il doit gager les bijoux de son épouse Manali. Il est souvent question d’argent dans les conversations : salaires des marins, prix du carburant, emprunts à contracter pour armer une nouvelle campagne.
Ganesh essaye de convertir Rakesh à de nouvelles méthodes, fondées sur l’exploitation d’un bateau plus grand, qui irait en haute mer et utiliserait des LED, illégales, pour attirer le poisson. Il s’agit de s’inspirer des flottes étrangères dont il observe la présence croissante sur un site internet. « C’est Diwali (la fête indienne des lumières) sur mer » ironise Ganesh. Une impressionnante scène de pêche à la LED ne semble pas lui donner raison tant les prises sont rares.
Les scènes purement maritimes sont peu nombreuses, la réalisatrice privilégiant l’intimité des deux familles issues de la même caste, mais dont les aspirations et les modes de vie divergent. S’ils ne partagent pas la même vision d’une pêche « durable », Rakesh et Ganesh se réconcilient autour des valeurs communautaires et familiales, le film s’ouvrant et se fermant sur la présentation au temple d’un nouveau-né. Ganesh fête la naissance d’une petite fille. Quant au fils de Rakesh, il guérit et participe au lancement du nouveau bateau de son père en se prosternant sur le pont. Ganesh est là pour partager la joie de son ami. Même s’il est très scénarisé, le film touche par sa justesse et sa sincérité. Il évite les écueils du voyeurisme et du regard « patrimonialisant » pour rendre compte de la vie de personnages modestes mais remarquablement combatifs. Vincent Guigueno
Le festival Jean Rouch se déroule au musée du Quai Branly-Jacques Chirac du 2 au 9 mai. Le programme est disponible sur le site du comité du film ethnographique.