Le Nautilus stimule toujours la création, comme le prouve la récente série éponyme diffusée sur France 2. En 1957, Roland Barthes écrit dans ses Mythologies un texte intitulé « Nautilus et bateau ivre ». Il s’interroge sur le « capital » imaginaire du héros de Jules Verne, Nemo, dont « toute une morale nautique fait (…) à la fois le dieu, le maître et le propriétaire » de son navire. Selon Barthes, le thème principal du roman ne serait donc pas l’exploration des océans, mais l’enfermement, à la fois physique et mental, du personnage principal.
Un sous-marin artisanal, dans lequel s’est déroulé un féminicide particulièrement sordide, porte également le nom de Nautilus. Propriété de Peter Madsen, sorte de sous-Elon Musk danois qui rêvait de faire décoller ses fusées depuis la Baltique, Nautilus fait naufrage au large de Copenhague dans la nuit du 10 au 11 août 2017. Le capitaine est secouru, mais sa passagère manque à l’appel. Il s’agit de Kim Wall, une journaliste suédoise embarquée pour écrire un article sur Madsen. Son torse est découvert quelques jours plus tard sur une plage, tandis que sa tête et ses jambes sont retrouvées en octobre par des plongeurs de la police. Madsen est déclaré coupable en avril 2018 et purge une peine de réclusion à perpétuité.
Comment la fiction peut-elle rendre compte de cette terrible histoire ? Le réalisateur danois Tobias Lindholm a relevé le défi dans une mini-série, L’Affaire Kim Wall (2020), dont le scénario exclut le bourreau pour s’intéresser aux parents de la victime et surtout aux enquêteurs. Lindholm fait appel à Søren Malling pour incarner Moller Jensen, le chef de la brigade criminelle. Il lui avait confié le rôle d’un armateur dans Hijacking (2012), un passionnant long-métrage sur une prise d’otage à bord d’un navire au large de la Somalie.
Malling/Jensen ne ménage pas ses équipes pour retrouver les restes de la victime dans les eaux du Sund, le détroit entre la Suède et le Danemark. Grâce au flair de chiens spécialisés dans la détection de noyés, les policiers pensent avoir localiser le cadavre de la journaliste. Mais les plongées restent vaines et décourageantes : sans corps, pas de preuves. Les recherches mobilisent alors des nageurs de combat et les savants de l’université d’Aarhus, embarqués à bord du navire océanographique Aurora. Les explications de son capitaine, Torben Vang, sur les courants du détroit constituent un moment décisif. La science permet aux enquêteurs de localiser la zone à fouiller et de retrouver le corps démembré.
Les choix de Lindholm – se tenir aux côtés des scientifiques et des policiers pour raconter l’horreur sans la reconstituer – sont esthétiques et moraux. Il privilégie l’Aurora, un navire à l’équipage « pluriel », contre le Nautilus, fétiche technologique d’un homme dont le supposé génie cachait une folie meurtrière. À chacun de choisir ses embarquements, en mer comme au cinéma.
Vincent Guigueno
Nautilus et L’Affaire Kim Wall sont à retrouver sur la plateforme France TV.