Dans ce qui étonne, aujourd’hui, au détour d’une virée sur les quais, ou dans ce qui nous indiffère, à quoi s’intéresseront les historiens de demain ? Bien malin qui peut le dire ! N’empêche, leur regard en arrière se nourrira des traces qu’en auront gardées les curieux d’aujourd’hui.
Le Gallois Jack K. Neale se passionna dans les années 1930 pour le plus banal des trafics du port de Cardiff, où il travaillait : celui des goélettes bretonnes débarquant leur bois ou leurs légumes, avant de repartir chargées de charbon. On vivait alors la fin des grands long-courriers, et ils avaient déjà leurs nostalgiques, mais il n’y avait pas grand monde pour s’intéresser à ces modestes caboteurs… Jack Neale se lia avec leurs équipages, les photographia… Engagé dans la Navy, il fut ensuite entraîné au loin par la guerre. À son retour les goélettes, désarmées, disparues, étaient choses du passé.
Lorsqu’il prit sa retraite, il chercha en vain quelqu’un pour en retracer l’histoire, et finit par se mettre à la tâche, retournant année après année interroger les marins et leurs familles. Le livre qu’il projetait dans les années 1970 ne fut pas publié avant sa mort, en 2001. Il paraît enfin en France, traduit par la petite-fille du capitaine de la goélette Océanide, avec des précisions et des témoignages complémentaires bienvenus. À nous de nous émerveiller de son travail d’alors… On en ressort ragaillardis, notre curiosité renouvelée : fermant le livre et nous promenant sur les quais, c’est un regard revivifié que nous portons sur le port aujourd’hui. Avec l’injonction que semble porter la voix de Jack Neale, éteinte en 2001 : de quoi se repaîtra la culture maritime quand nous n’en serons plus, et qu’aurons- nous fait pour la nourrir ?
> Goélettes bretonnes, Jack K. Neale et l’association Océanide, manuscrit traduit par Jacqueline Gibson, éd. Coop Breizh, 256 p.,