En France, dans toute l’Europe et au-delà, la sécheresse de l’été 2022 a engendré un manque d’eau qui a perturbé la navigation. Le Rhin, artère vitale du commerce européen, a été particulièrement touché.
La sécheresse de l’été 2022, qui suivait déjà un printemps et un hiver marqués par un fort déficit de précipitations, a eu des répercussions sur la navigation intérieure. Dans l’Ouest du pays, la Garonne et la Loire ont été très affectées par le manque de pluie. Mais c’est surtout dans un grand tiers Nord-Est que les effets de la sécheresse se sont fait sentir.
La situation au 1er septembre du réseau de Voies navigables de France (VNF) dénombrait 45 cas d’insuffisance de ressource en eau, entraînant 19 cas d’arrêt de la navigation dans tout le pays. Pour les petits gabarits, « 19,5 pour cent du réseau (1 305 kilomètres) sont concernés par des limitations de l’enfoncement des bateaux et 14,8 pour cent du réseau, soit 991 kilomètres de canaux, sont fermés à la navigation faute de niveau d’eau suffisant », indique VNF, qui ne prévoyait pas d’évolutions majeures dans les deux ou trois semaines à venir.
Pour alimenter les canaux, où la navigation était maintenue, VNF a fait appel à ses bassins réservoirs. Au 1er septembre, dernier état connu, leur taux de remplissage global était de 30 pour cent contre 60 pour cent début juillet. Les canaux ont toujours connu des problèmes d’alimentation, car ils subissent des pertes par évaporation, mais aussi à cause des pompages d’usages (notamment agricoles) et des fuites qui se situent dans le haut des digues. Pour tenter de limiter les fuites, VNF a abaissé le niveau d’eau dans les canaux ; et pour éviter que de trop importants volumes d’eau s’échappent vers l’aval lors des éclusées, le gestionnaire a imposé aux bateaux de se regrouper pour sasser.
Concernant le réseau à grand gabarit, « sur la Seine, l’Oise, le Rhône et le canal de Dunkerque-Escaut, la desserte des grands ports maritimes est assurée. Le Rhône et la Grande Saône voient leurs mouillages légèrement réduits. Il n’y a pas de limitation sur le réseau du Nord-Pas-de-Calais relié à l’Escaut et à la Lys », précisait encore le gestionnaire.
Le problème le plus grave était celui du Rhin, artère commerciale vitale pour l’Europe, victime d’une baisse historique de son niveau à cette saison. La faiblesse des précipitations, liée au faible enneigement de l’hiver dernier dans les Alpes, dont la fonte alimente habituellement les sources du Rhin, étaient responsables d’un étiage plus grave que celui de 2018 dans sa partie à courant libre, en aval de Strasbourg.
Son niveau à la station de mesure de Kaub, en Allemagne, là où le fleuve est le moins profond, était tombé à 38 centimètres le 12 août dernier : c’est le seuil au-dessous duquel les péniches, peu chargées, ne circulent plus. La société Contargo, spécialisée dans le transport de porte-conteneurs, a émis un avis prévenant qu’elle allait être obligée d’interrompre une grande partie de la navigation sur le Rhin supérieur et moyen. Depuis, le niveau était remonté à 44 centimètres le 20 août grâce à de fortes pluies tombées deux jours plus tôt en Suisse. Lors de la grave sécheresse de 2018, cet indicateur avait certes atteint 25 centimètres… mais c’était au mois d’octobre.
Sur le Rhin, les péniches naviguaient à 20 pour cent de leur capacité d’emport pour limiter l’enfoncement, ce qui a multiplié le coût du fret de conteneur par six… La situation était cruciale pour l’Allemagne où une partie des matières premières énergétiques emprunte les voies intérieures, ce qui aura des conséquences sur la remise en marche des centrales à charbon, décidée en juillet suite à la guerre en Ukraine. Si la route et le rail ne peuvent compenser le tonnage transporté par la voie d’eau, le port de Strasbourg a toutefois vu son trafic ferroviaire augmenter de 40 pour cent en juillet. La sécheresse a touché toute l’Europe. Sur le Danube, dont le débit a baissé de 40 pour cent, des navires chargés de ferraille et de céréales étaient bloqués à Zimnicea, au Sud de la Roumanie. Dans le port de Constantza, à l’Est du pays, une vingtaine de navires attendaient de pouvoir gagner la Serbie.
Le 3 août, les Pays-Bas se sont déclarés en pénurie d’eau : ferries à quai, ponts ouvrants d’Amsterdam arrosés par peur que leur mécanisme ne se grippe, maisons flottantes sur la rivière Waal avec les pieds au sec… Ailleurs, les digues intérieures en tourbe ou argile, qui assurent l’asséchement des polders, se fissuraient sous l’effet de la chaleur ; elles étaient aussi arrosées par endroits pour éviter de céder sous de soudaines précipitations ou montées d’eau. En Grande-Bretagne, c’est la source de la Tamise qui était à sec, même si des cours d’eau en aval continuaient à l’alimenter. Dans le centre de l’Italie, on a marché dans le lit du plus grand fleuve du pays, le Pô, incapable d’irriguer la vaste plaine agricole qui l’entoure, ce qui a aussi entraîné de sévères restrictions d’eau.
Plus loin encore, le Yangtsé, le plus grand fleuve d’Asie où circulent 60 pour cent des biens transportés par la voie fluviale en Chine, atteignait lui aussi son niveau le plus bas depuis cent cinquante ans. À Wuhan, les habitants traversaient le fleuve à pied… autant dire que les barges et péniches ne pouvaient plus remonter le fleuve vers la mer de Chine orientale.
La baisse des eaux du Yangtsé a mis au jour des sculptures bouddhistes, vieilles de six cents ans ; celle d’une rivière du Texas a révélé des traces de pas de dinosaures d’environ 110 millions d’années ; celle du Rhin, du Danube ou de l’Elbe ont laissé apparaître des Hungerstein, ces « pierres de la faim » gravées entre le Moyen Âge et le XVIIIe siècle par des hommes victimes de famines, liées aux sécheresses et aux mauvaises récoltes. Sur l’une d’elles, on peut lire : « Si tu me vois, pleure. » En août 2018, Greenpeace a gravé sur une pierre à Magdebourg, en Allemagne, cette inscription : « Si vous me voyez, c’est une crise climatique »… ◼ Nathalie Couilloud