Comme le clou qui dépasse appelle le marteau, la cohabitation immémoriale de riches cargaisons et de marins nécessiteux semble avoir suscité des vocations délictueuses sur les mers depuis au moins aussi longtemps qu’il y a, à terre, des voleurs… Certes, mais qu’est-ce qui fait des « larrons des mers », comme ils étaient usuellement désignés en France jusqu’au XIIIe siècle, ce qu’on appelle aujourd’hui des pirates ? Jules Lecomte qui définissait ces forbans comme « des voleurs et des assassins sur mer, en guerre avec le genre humain », lâche le morceau à la fin de cette notice de son Dictionnaire pittoresque de marine (1835) : « Les forbans n’ont pas de nation, ils sont réprouvés par celles auxquelles ils ont appartenu. »
On sait l’importance de la lutte contre les pirates dans l’affirmation de la puissance maritime romaine. Avec la fin de l’Empire en Occident, et celle de la police des mers qui allait avec, le « récit pirate » s’éteint à partir du VIe siècle.
L’historien rochelais Pierre Prétou, qui a retracé l’émergence de la figure du pirate à la fin de notre Moyen Âge, montre comment les Amirautés, qui sont établies alors et qui jugeront notamment de la licité des prises, va entraîner la réapparition de la catégorie du pirate, qu’on viendra opposer à celle du corsaire. « À la fin du XVe siècle, il ne manque plus qu’un acte souverain instituant le crime de piraterie pour permettre son entrée dans le droit. » En se structurant, les États nouveaux vont y veiller, à travers les traités internationaux. C’est ce que l’auteur appelle la « genèse diplomatique du pirate », cette figure qui met en danger la « paix des navires » et le commerce florissant des Temps modernes… Bref, l’ennemi de toutes les parties, et bientôt, de toutes les patries. J. v. G.
> L’invention de la piraterie en France au Moyen Âge, Pierre Prétou, puf, 228 p., 23 euros