©LES FILMS DU WORSO-PATHÉ FILMS- FRANCE 3 CINÉMA-LES FILMS DU MONSIEUR

La Vallée des fous de Xavier Beauvois est le contrepied absolu du film « embarqué », qu’il soit documentaire ou de fiction, dont on nous a abreuvés à l’approche du Vendée Globe. Adepte de Virtual Regatta, le réalisateur d’Albatros nous raconte l’histoire d’un tour du monde virtuel, dont le skipper, Jean-Paul (Rouve), s’installe dans un bateau, au fond de son jardin. Le film semble plus avoir affaire avec le confinement de 2020 qu’avec la course au large. Mais Jean-Paul partage avec les marins le retour à l’exact point géographique de son départ, que ce soit un bout de jardin ou le chenal des Sables-d’Olonne. En l’absence de toute rencontre, à part quelques albatros dans les mers du Sud pour les compétiteurs du Vendée Globe, c’est l’expérience intime traversée, ses aléas, ses joies et ses douleurs qui font l’intérêt du récit. Celui-ci commence par une sévère cure de désintoxication pour Jean-Paul, alcoolique et criblé de dettes qu’il espère éponger en remportant la course en ligne. Dans un épisode hallucinatoire, il est assailli par des serpents. Sans transition, le film passe de l’horreur à la poésie visuelle, quand Jean-Paul célèbre le passage de chaque cap en dansant sur le pont au son de la musique composée par Peter Doherty.

Parti trop à l’ouest, au propre comme au figuré, Jean-Paul bénéficie du routage d’un habitant de la « vallée des fous » – Port-la-Forêt –, Michel Desjoyeaux. Le Professeur fréquente le restaurant de Jean-Paul, les Quarantièmes Rugissants, qui est aussi le nom de code de son bateau virtuel. Les Quarantièmes font office de pc Course et de maison de famille. L’intérêt du film repose sur l’histoire du marin solitaire qui surmonte sa dépression, mais aussi sur l’empathie suscitée par les autres personnages : sa fille Madeleine, jouée par Mathilde Beauvois, son père excentrique, Pierre (Richard), et son fils Joseph qui le supplée en cuisine.

La courbe du moral de Jean-Paul est calée sur sa formidable remontée au classement, scandée par les images de son imoca numérique. Apaisé, il lance une chaîne Youtube très populaire sur laquelle il partage ses aventures, en particulier une vilaine blessure qu’il doit recoudre. Il devient également le passeur des histoires d’autres « tourdumondistes » dont il a emporté les livres : Moitessier, Slocum… L’amoncellement des pancartes des annonceurs dans le jardin est un ressort comique efficace, jusqu’à l’arrivée d’un « vrai » sponsor, dont le nom s’affiche sur la coque à bouchains.

Même s’il ne gagne pas la course, Jean-Paul a fait le tour de son monde, en s’infligeant l’épreuve d’une séparation dont il ressort avec la ferme volonté de quitter sa vie « d’avant ». Il est tentant de voir dans le marin un double du réalisateur. Un film, comme une course au large, ne se traverse jamais en solitaire, mais rare sont les œuvres qui savent mettre en scène l’équipage. La Vallée des fous en fait indiscutablement partie.  Vincent Guigueno

La Vallée des fous est sorti en salle le 13 novembre.

Publié dans Le Chasse-Marée 342 – Octobre-Novembre