Le suicide de Patrick Marteel, un pêcheur de Dunkerque, illustre les difficultés du métier, mais Cyril Bérard, dans son documentaire Le Bateau de mon père, évoque moins la crise de la pêche que le deuil familial et la reprise par son fils du travail paternel.
À Dunkerque, Le Cinquième élément n’évoque pas seulement un film de Luc Besson, mais aussi un trémailleur de 12 mètres à la coque jaune, amarré au Quai de l’armement. Après chaque sortie en mer, Florent Marteel, son patron, dépose le produit de la pêche à la place du Minck. Sa mère, Sylvie, y tient l’une des aubettes, ces stands de bois où s’effectue la vente directe du poisson (en bas). Le jour de l’Assomption, la communauté maritime dunkerquoise se rassemble au Quai des Anglais, d’où part une flottille pour la « bénédiction de la mer ». Des fleurs sont jetées des bateaux en mémoire des disparus. À bord du Cinquième élément II (ci-dessus), la famille Marteel est venue se souvenir de Patrick, le père de Florent, qui a mis fin à ses jours en septembre 2019. Le fils aîné a repris la barre du bateau « sans le voir arriver », dans un contexte difficile. La chute vertigineuse des prises a plongé dans la crise les derniers bateaux de pêche artisanale, une dizaine de navires qui arment encore à Dunkerque, contre quatre-vingt dans les années 1970. Quelques mois après le décès de Patrick Marteel, la coopérative maritime a d’ailleurs été mise en liquidation.
Dans Le Bateau de mon père, projeté hors compétition au festival Pêcheurs du monde de Lorient, ce désastre économique est suggéré par l’annonce de la nouvelle sur la radio locale, et quelques plans tournés dans les locaux désaffectés de la criée : des balances sans bacs à peser, une rangée de téléphones qui ne sonnent plus. Le réalisateur, Cyril Bérard, n’est pas un spécialiste du documentaire maritime. Formé aux sciences politiques en Italie, il a consacré son premier film à la ville natale de Mussolini, Predappio (Duce Vita, 2012). C’est en lisant par hasard un article dans la presse régionale qu’il découvre la gravité de la situation de la pêche dunkerquoise. Il contacte le comité des pêches pour savoir si un armement accepterait de témoigner de cette situation. Ce n’est pas Florent ou Sylvie qui répond à son appel mais Marjorie, la sœur de Patrick Marteel. Directrice financière à Paris, elle est venue aider sa famille à poursuivre l’activité de l’armement. Elle incite son neveu à se former, à s’intéresser à la gestion… Les silences de Florent en disent long sur son peu d’appétence pour le travail administratif. Mais c’est surtout l’absence de poisson qui mine le jeune patron. Il exprime son dégoût à la VHF dans de beaux plans filmés de nuit à bord du Cinquième élément II.
Pendant plus de deux ans, Cyril Bérard a préparé puis tourné Le bateau de mon père, dont il dit qu’il n’est pas un énième documentaire sur la crise de la pêche, mais un film sur le deuil : celui d’un fils, d’une famille, peut-être d’une ville dont l’histoire est intimement liée à une activité halieutique qui désormais la fuit. Les derniers chalutiers dunkerquois descendent aujourd’hui vers les ports de la côte normande pour une partie de la saison. Le Cinquième élément II relâche à Dieppe, où la famille Marteel a acquis un bungalow dans un camping. Face à ce présent incertain, Marjorie se rend aux archives municipales pour établir l’arbre généalogique des Marteel, où l’on est pêcheur de père en fils à Dunkerque depuis dix générations. Quant à Florent, il regarde à la télévision un documentaire sur la pêche à Islande, allongé dans son canapé. La lignée va-t-elle s’arrêter avec lui, ses deux frères ayant renoncé au métier ? La question reste en suspens à la fin du film.
Aux dernières nouvelles, Sylvie accueille toujours ses clients à l’aubette de la place du Minck.
Cyril Bérard, Le Bateau de mon père, (52 minutes, 2023), disponible sur la plateforme KuB (<kubweb.media>).