L’association Mor Er Wenediz 56 s’est lancée dans un projet de reconstitution historique d’un navire des antiques Vénètes, tâche complexe en l’absence de vestiges archéologiques.
« Les vaisseaux des ennemis étaient construits et armés de la manière suivante : la carène en est un peu plus plate que celle des nôtres, ce qui leur rend moins dangereux les bas-fonds et le reflux ; les proues sont très élevées, les poupes peuvent résister aux plus grandes vagues et aux tempêtes ; les navires sont tout entiers de chêne et peuvent supporter les chocs les plus violents. » Ainsi Jules César, dans le livre III de La Guerre des Gaules, décrit-il les bateaux des Vénètes, un peuple gaulois installé dans la région des actuelles villes de Vannes, Auray et Locmariaquer, au cours du IIe millénaire avant notre ère. Comme l’écrit également Jules César, « cette dernière nation est de beaucoup la plus puissante de toute cette côte maritime. Les Vénètes, en effet, ont un grand nombre de vaisseaux qui leur servent à communiquer avec la Bretagne [actuelle Angleterre, NDLR] ; ils surpassent les autres peuples dans l’art et dans la pratique de la navigation, et, maîtres du peu de ports qui se trouvent sur cette orageuse et vaste mer, ils prélèvent des droits sur presque tous ceux qui naviguent dans ces parages. »
En 56 avant notre ère, César vient de conquérir une bonne partie de la Gaule, dont la région des Vénètes, mais ceux-ci, restés puissants, s’insurgent en prenant en otage les représentants que la République romaine a envoyés pour gérer cette région. Les Vénètes, associés à d’autres peuples d’Armorique, seront définitivement soumis lors d’une bataille navale cette même année. César souligne dans son texte la supériorité des navires vénètes, par rapport à ceux de sa flotte, mais les Romains ont fait montre d’astuce en utilisant de grandes faux tranchantes qui coupaient les cordages maintenant les vergues des bateaux vénètes. Ils remportent ainsi la bataille.
Deux millénaires plus tard, il ne reste des bateaux vénètes ni épave ni représentation… Seule cette description demeure, et encore ne s’agit-il là que d’une source indirecte. Cela n’a pas empêché l’association Mor Er Wenediz 56 de se lancer dans un projet de construction d’une « réplique » de navire vénète. « À partir de l’espace de navigation supposé (navigation semi-hauturière ou plutôt hauturière) et des connaissances acquises sur des épaves hypothétiquement considérées comme similaires à la description de César, notent les porteurs du projet, la démarche a consisté à dessiner des plans supposés et à les tester dans la réalisation d’une maquette à l’échelle 1/10 en vue d’aboutir à la possibilité de construire ultérieurement un navire de 15 mètres. »
L’association s’est basée sur le dessin de René-Yves Creston, réalisé en 1956 à partir du seul texte de César, et sur trois épaves d’époques postérieures, celles de Blackfriars I, découverte dans la Tamise à Londres en 1962 par Peter Marsden, datant du IIe siècle – embarcation dotée d’une voile carrée, de construction brittonique mais de style romain –, du bateau de charge gallo-romain de Guernesey, coulé au IIIe siècle dans le port de St Peter, et découvert en 1982, et enfin de Port-Berteau II, caboteur fluviomaritime du VIIIe siècle, découverte en 1973. « Les épaves Blackfriars I et Guernesey, signalées par les experts comme assez comparables à la description de César sont construites sur sole et à franc-bord alors que celle de Port-Berteau II est construite sur quille, à membrure première, note l’association. Ces trois épaves sont considérées comme fluvio-maritimes, ce qui peut poser question si les navires vénètes étaient plus hauturiers. » Quant au fait que ces épaves soient postérieures au bateau vénète, ce ne serait pas problématique, selon l’association, qui postule que « l’évolution architecturale des navires a été lente à ces époques et encore pour plusieurs siècles. »
À partir de ces différentes observations, l’association a donc formulé plusieurs hypothèses pour l’architecture du navire vénète, notamment celle d’une sole et non d’une quille, comme l’avait dessinée René-Yves Creston. Cette sole constituée de 5 planches mesurerait sur le bateau 10 centimètres d’épaisseur. La structure serait « intermédiaire », entre la membrure première et le bordé premier, selon un mode de construction qualifié de « proto- membrures premières » par l’archéologue maritime Sean McGrail : les varangues sont rapportées sur la sole, puis les allonges des trente couples sont fixées sur ces varangues, avant la pose des douze virures de 30 centimètres de largeur formant le bordé. Les profils de coque sont inspirés du plan de René-Yves Creston et ont été redessinés par Yann Philippe, architecte naval au chantier Laïta Sailing à Quimperlé.
Les adhérents supposent par ailleurs que les navires vénètes étaient partiellement pontés, « pour protéger l’équipage et le fret ». La restitution de l’épave de Blackfriars I présente un espace central ouvert pour charger le fret dans les cales, ce qu’a suivi l’association. Quant à l’ancre, en fer, elle était amarrée à une chaîne, selon le texte de César.
Comment était gouverné un navire vénète ? Les observations des trois épaves et les connaissances sur les gouvernails des navires antiques laissent supposer qu’il y aurait eu un aviron de gouverne de chaque bord. Pour le gréement, l’association sait la difficulté de reconstituer cette partie. « En référence aux conclusions d’Éric Rieth sur l’épave de Port-Berteau II, de taille comparable au navire vénète (14,29 mètres, avec une surface de voile supposée de 53 mètres carrés), écrit encore l’association, on aurait pour notre bateau vénète une hauteur de mât de 8 mètres au-dessus du niveau du pontage de proue, une emplanture à 5 mètres de la proue consolidée par un bau traversant au niveau du pontage avant, une vergue de 6 mètres, et, enfin, une voile carrée de 5,60 mètres carrés. Ces valeurs, reprises de Port- Berteau II, sont peut-être sous-estimées, car le creux du navire d’estuaire était moindre que celui d’un navire vénète plus hauturier. » Ils s’interrogent aussi sur les voiles, que César décrit comme étant en « peaux molles et très amincies, soit qu’ils manquent de lin ou qu’ils ne sachent pas l’employer, soit encore qu’ils regardent, ce qui est plus vraisemblable, nos voiles comme insuffisantes pour affronter les tempêtes violentes et les vents de l’Océan. »
Les adhérents ont souhaité pousser le détail jusqu’au calfatage. L’historien antique grec Strabon affirme qu’il était réalisé, chez les Vénètes, avec des algues. Blackfriars I était calfaté avec des branchettes de noisetier.
Une maquette a été réalisée, grâce à la collaboration de l’association des Vieilles voiles de Rhuys. Mor Er Wenediz 56 souhaite désormais trouver des fonds pour commencer la construction du navire à l’échelle 1, « qui permettra de valider les hypothèses posées », malgré les incertitudes autour de l’architecture du bateau vénète… dont même la description par Jules César est controversée.