©Emmanuel Alassœur

Depuis bientôt quarante ans que je fréquente les rassemblements de bateaux du patrimoine, je n’avais encore jamais vécu cette sensation. Et il a fallu que le « merrien » que je suis aille jusque dans la Vienne pour connaître cela… Un comble. Bref, me voilà fin juin sur les bords de l’affluent de la Loire, à Cenon-sur-Vienne très exactement, le regard perdu par-delà les arbres. Passent des canoës, une prame, une périssoire…Et soudain, un flash : Nana, ramée par Patrick Bigand en tenue « d’époque » me projette cent cinquante ans en arrière. L’espace d’une seconde, me voilà dans un tableau de Monet, de Caillebotte, voire de Renoir… Magique.
C’est aux organisateurs de la Régate 1900 que l’on doit de telles émotions, et bien plus encore. Le temps d’un week-end, les amateurs de beaux objets vernis sont servis, ceux qui aiment qu’on leur raconte de belles histoires aussi. C’est la grand-messe des embarcations du canotage.
Tenez, je vous parlais de Patrick Bigand et Nana. C’est dans les écuries d’un château des Andelys (Eure) qu’il a eu l’opportunité de récupérer cette yole de promenade construite vers 1890 par Fernand Delmez à Poissy. « Les propriétaires étaient en panne d’espace. Nana et deux autres bateaux étaient condamnés au bûcher si personne ne les adoptait. » Patrick en sauvera deux, dont cet unique témoin du chantier Delmez qu’il va restaurer.
La yole Nana navigue, puis s’expose aux USA
« Nana était complète à l’exception des avirons et du safran, mais en assez mauvais état, avec notamment une couche épaisse de coaltar dans les fonds, et plusieurs virures cassées ou fendues, sans doute en partie à cause des gravats qui la remplissaient à moitié. » Depuis, la yole navigue, mais elle se montre également. En 2013, elle était la star de l’exposition « Impressionnists on the water » au Museum of Fine Arts de San Francisco, avant de s’exhiber ensuite au Peabody Museum de Salem… Rien que ça !
Si les bateaux naviguent, ils se reposent aussi sur la pelouse à côté des expositions. L’occasion pour le public de les découvrir de près, d’échanger, et pour le jury d’examiner – il y a le concours de la plus belle embarcation, du meilleur canotier, des régates… Les canoës sont nombreux, et aucun ne ressemble à son voisin, qu’il s’agisse des formes, des échantillonnages, des modes de construction, de la propulsion, des usages…
Leurs propriétaires en parlent avec passion, à l’instar de Guy et Françoise Prunières, propriétaires du Chauvière La Léone, un bateau de famille des années 1930 encore doté de son pont. Le regard de Christian Béchade, lui, s’éclaire quand il évoque l’histoire de Maurice, son skiff Dossunet des années 1930, et le plaisir de ramer une telle coque. Emmanuel Alassœur enthousiasme avec sa périssoire Adhara ; Jean-Jacques Gallardo captive avec Le Pontet ; le canot « de Langon » du Carré des canotiers laisse bouche bée…
Ils étaient près de cinquante ; chacun mériterait un article… G. J.

Publié dans Le Chasse-Marée 340 – Août-Septembre